Membres ? Membres actifs ?

Une petite précision s’impose. Certes, les associations contiennent des membres adhérents, mais ceux qui nous intéressent en premier lieu, ce sont les membres actifs. Les membres actifs sont des membres qui apportent de leur temps en bénévolat pour l’association, ce sont donc eux les « employés » de l’association, moralement parlant, et c’est sur eux que le turnover est problématique.

En effet, perdre des membres c’est perdre des soutiens, mais perdre des membres actifs c’est perdre une force d’initiative, d’action, et une mémoire des savoirs-faire de l’association. La passation doit être efficace au point de permettre au membres actifs de reprendre le travail, et continuer à faire rayonner l’association.

Arrivées et départs

Pourquoi un départ ? Doit-on l’empêcher ?

Les arrivées et les départs font partie de la vie d’une association, et elle se doit d’accompagner l’une et l’autre avec la même efficacité.

Les membres actifs partent pour de multiples raisons. Dans les associations étudiantes, c’est bien souvent le diplôme qui sonne le glas de l’engagement associatif. L’avantage, c’est que l’on peut prévoir avec relativement de fiabilité le départ des membres actifs dans une association étudiante : c’est la fin de l’année universitaire pour les étudiants de dernier cycle. Pour les autres associations, les départs peuvent être prévus (déménagement, nouveau travail, etc), ou totalement à l’improviste (claquer la porte du jour au lendemain).

La bonne question n’est pas « comment empêcher quelqu’un de partir », c’est « comment accompagner son départ ». En effet, les associations n’ont aucune marge de manœuvre face au départ d’un membre actif : on ne peut pas obliger un bénévole à rester. Je dirais même que si on le pouvait, on ne le doit pas.

La raison du départ n’a finalement pas d’importance, sauf s’il s’agit d’un départ délibérément nocif à l’association (éviction d’un membre à cause de son comportement, départ pour cause de « raz-le-bol », etc). Dans ces cas là, et dans ces cas là uniquement, la question du départ, en plus de poser souvent d’autres problème que la perte d’un membre (zizanie provoquée, fragilisation de la structure vis à vis de ses partenaires…), doit demander à l’association de se recentrer sur les raisons du départ, pour en tirer des conclusions.

Comment provoquer l’arrivée de nouveaux membres ?

Que l’on soit bien clairs : on peut faire un événement exceptionnel et gagner en une journée un millier de followers sur Facebook, et ne pas récolter un seul membre actif. Gagner des membres actifs est un travail de fond, cela prend du temps, il faut avoir l’air crédible, faire des actions marquantes et positives, il faut pouvoir s’inscrire dans la durée.

Il n’y a pas de recette miracle. Soyez bons. Identifiez votre « cible » et comblez votre public. Vos membres actifs viendront tout seuls s’ils se sentent investis par vos projets. Il faudra peut être à un moment trier le bon grain de l’ivraie (certaines personnes viendront pour « prendre » et non pas « donner »), mais ne méprisez surtout pas les talents qui vous parviennent.

La communication externe est également très important pour gagner de nouveaux membre actifs (« rayonner »), mais j’y reviendrai dans un autre article.

Beaucoup d’arrivées d’un coup, c’est plutôt positif, non ?

Oui et non. D’un côté, dans les associations étudiantes, c’est quelque chose qui arrive tous les ans et que l’on sait gérer avec de l’expérience, de l’autre, pour des associations « classiques » ça peut provoquer un vrai déséquilibre, surtout si les nouveaux arrivants se connaissaient avant de d’arriver. Cela peut provoquer un déséquilibre dans l’harmonie des forces en présence au moment des prises de décision, ça peut faire pencher la balance d’un côté que les « anciens » ont toujours refusé, et cela peut provoquer un schisme important dans l’association. Il n’est jamais évident d’intégrer un groupe existant à un autre groupe.

Toutefois, il ne faut pas avoir peur des nouveaux membres. Comme nous allons le voir, il est essentiel d’intégrer de nouveaux membres actifs. Une association qui n’a pas de nouveaux membres est une association qui survit, l’étape suivante c’est l’essoufflement et la mort de l’association.

Les outils des associations

Statuts et règlements

Vos statuts doivent être visibles, à jour, clairs. Ils doivent poser les bases de ce que doit être votre association et son projet. C’est la première chose que les membres à la recherche de garanties sur vos actions iront regarder.

Ces statuts, bien qu’ils puissent évoluer, sont aussi la garantie que l’objectif initial de l’association restera le même. Plus qu’une charte, c’est la première chose que vous présentez à vos partenaires, c’est votre contrat moral.

De même, vos règlements devront être présentés à chaque nouveau membre. Il faut pouvoir poser un cadre pour rassurer les nouveaux arrivants, mais aussi pouvoir les appliquer pour travailler efficacement.

Fiches de poste

« Depuis le départ d’untel, plus rien n’est comme avant ». Comment éviter que les savoir s’évaporent avec les départs des membres ? Les fiches de poste sont des documents techniques assez formels, mais qu’il est simple à mettre en place « sans connaissance » : il suffit de suivre les questions.

La fiche de poste récapitule qui s’occupe de telle responsabilité, en quoi elle consiste, quels sont les événements qui rythment le poste (« journée type »), quels sont les documents qui doivent sortir une fois la journée terminée, et comment gérer les imprévus que l’on a déjà rencontrés.

La fiche de poste doit être élaborée par la personne chargée du poste, ou à défaut en lien étroit avec ce dernier. Elle est le premier document que doit lire une personne souhaitant reprendre une responsabilité après quelqu’un, ne serait-ce que pour décrire comment le poste fonctionne en l’état, avant de l’améliorer.

Formations

Compliquées à mettre en œuvre, nécessitant un vrai savoir faire, et souvent onéreuses pour les associations, les formations sont très peu utilisées. Pourtant, c’est un bon moyen de fournir, au format condensé et synthétique, tout ce qu’un nouveau membre devrait savoir sur le fonctionnement de la structure ou le mécanisme par lequel les actions sont menées.

Même si la formation est réussie, elle ne se suffit pas à elle-même. Les autres actions (implication des nouveaux membres, mise en place de programmes de « tutorat »…) sont indispensables pour pouvoir passer le flambeau en toute sérénité.

Communication : Bottom-Up et Top-Down

Derrière ces termes barbares de Bottom-Up et Top-Down se cachent des concepts qui sont utilisés aussi bien en ingénierie sociale qu’en ingénierie logicielle. Ces termes signifient tout simplement qu’il y a deux manières de gérer un groupe (qui ne sont pas forcément antagonistes) :

  • La vision hiérarchique (Top-Down) : un petit groupe de personne définit l’orientation et répartit les tâches et responsabilités au niveau inférieur, et ainsi de suite.
  • La vision collégiale (Bottom-Up) : les premières personnes concernées par les décisions font remonter les sujets importants et définissent ensemble les orientations pour l’ensemble du groupe.

Dans une association, il est important de ne pas faire l’un au détriment de l’autre. Si dans une entreprise la hiérarchie est quelque chose dont on ne peut pas discuter, dans une association, étant donné l’absence de lien autre qu’un contrat moral, les membres (et en particulier les membres actifs) doivent absolument pouvoir prendre part aux grandes décisions concernant l’orientation de l’association. Les décisions “fonctionnelles” (comment atteindre tel objectif) peuvent quand à elles rester à la charge du Bureau. À l’inverse, une vision trop démocratique n’entraînera qu’un brouhaha inefficace, il est indispensable d’avoir un ou plusieurs leaders pour que cela fonctionne.

Au passage, on ne décide jamais de devenir leader dans une association, on le devient toujours « par la force des choses » : parce qu’on en a les compétences et qu’on a été « adoubé » par le groupe, ou tout simplement parce qu’il n’y a personne d’autre qui accepte ce rôle.

Quel est le lien avec le turnover ? La passation ne peut se faire que s’il y a une communication efficace, à la fois Bottom-Up lors du départ (celui qui part `=>` ceux qui restent), et Top-Down pour accompagner l’arrivée (anciens `=>` nouveaux).

Ce que l’on ne vous a pas dit

Voici donc la partie qui va justifier pourquoi j’ai rédigé un long billet sur le sujet. Avec mon expérience associative, je sais qu’il y a des choses qui sont indispensables pour éviter que les nouveaux arrivants partent aussi vite qu’ils sont arrivés, et pour que “la sauce prenne”. Finalement, tout le reste, vous le savez déjà, et vous l’avez peut être mis en place. Mais il manque quelque chose.

Les quatre saisons d’une association

Pour cette partie, je vais prendre pour cadre les associations étudiantes, mais il s’applique aussi aux associations « classiques », il faut juste définir un rythme de saison par membre actif, au lieu d’un rythme global.

Il existe, pour les associations étudiantes, quatre saisons bien distinctes que l’on peut isoler :

  1. La fin de l’année : L’association a terminé son travail, il ne reste plus rien à faire à part se souhaiter de bonnes vacances. Que faire avant de partir ? Organiser la rentrée ! Oui, la fin de l’année entraîne nécessairement des départs qui devaient être anticipés, donc il faut faire le point avant que tout le monde s’échappe. Qui sera là ? Qu’est-ce qu’on fera ? De quoi on va avoir besoin ? Qui va s’occuper de trouver les choses qui nous manquent pour la rentrée ? Si vous débarquez en septembre pour tout recommencer, ça sera trop tard, vous perdrez un an.

  2. Le début de l’année : s’il est bien préparé, le début de l’année est l’étape décisive pour une association étudiante. C’est le moment où les nouveaux membres actifs se manifestent, et c’est le moment où l’on a le plus d’incertitudes sur la viabilité de la structure (effectif réduit pour redémarrer l’année, incertitudes financières, etc). Au passage, les nouveaux arrivants à la fac ne deviennent pratiquement jamais des membres actifs. Les étudiants profitent des activités fournies par l’association durant une année, et l’année suivante, si le projet leur plaît, ils peuvent avoir envie de s’y investir. Recruter des membres actifs est vraiment un travail de fond dans la durée.

  3. Construction de la nouvelle équipe : les nouveaux membres actifs sont arrivés, la nouvelle équipe est sur pied, mais elle manque de rodage. C’est le moment où les tensions apparaissent. Une fois passé l’état de grâce de la découverte de la structure, les nouveaux membres découvrent ses faiblesses, ses lourdeurs, les choses qui leur déplaisent. C’est le moment où il est important d’écouter et d’entendre ce que disent les nouveaux membres, cela peut avoir un impact très important pour la suite.

  4. La passation : c’est le tournant de l’année, tout ce qui se passe après la passation sera réussi, à partir du moment où les autres étapes ont été réussies. c’est aussi le moment où il y aura de nouvelles tensions vis à vis des ambitions de pouvoir de certains membres. Il faut réussir à apaiser les tensions et proposer de quoi répondre aux attentes de chacun pour éviter que cela ne se répercute après la passation.

Les pulsations de la confiance et du cadre

Toujours en reprenant nos quatre saisons, il y a des paramètres qu’il faut ajuster pour accompagner ces saisons : la confiance et le cadre. Loin d’être antagonistes, ces deux élément sont structurants pour les quatre saisons, et un sur-dosage comme un sous-dosage de ces paramètres peut mettre en danger l’accomplissement des quatre saisons dans une ambiance apaisée.

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Sur le schéma ci-dessus, on peut voir les variations de la confiance et du cadre. Le cadre représente les règles, leur importance, et le respect qu’on leur accorde, et la confiance est la confiance accordée au sein du groupe envers les nouveaux arrivants. Reprenons nos quatre saisons :

  • 2. C’est la rentrée, les nouveaux membres se présentent, ils découvrent l’association. Il est très important de pouvoir leur accorder de la confiance assez rapidement, quitte à recadrer par la suite en cas de problème. Ne pas leur donner les moyens de s’épanouir dans l’association c’est prendre le risque qu’ils la quittent ou qu’ils retardent le rythme des saisons. C’est le moment où on présente la structure, et où on présente le projet aux nouveaux arrivants (statuts, règlements, déroulement des actions).

    Attention : accorder sa confiance ce n’est pas lui confier une mission en affirmant : « vas-y, on te fait confiance ». Il faut d’abord accompagner, puis laisser le nouveau membre s’épanouir dans ses nouvelles fonctions.

  • 3. Le groupe est là, la confiance maximale en son sein, c’est le moment du rodage. C’est le moment de rappeler les règles pour les impairs qui ont été faits, c’est le moment de prendre son rythme de croisière.

  • 4. La passations génère des tensions, la confiance s’étiole, mais cela ne doit pas être catastrophique. Un peu de cadre (organisation de la passation selon les règles pré-établies et avec sérieux) permet de se rassurer sur le déroulement des choses. Les départs sont officialisés, les arrivées reconnues comme utiles par le groupe.

  • 1. La confiance renaît au sein de la nouvelle équipe, prête à terminer l’année et attaquer l’année suivante avec encore plus d’enthousiasme. Un peu de cadre (fréquence des prochaines réunions, répartition des tâches à effectuer) avant de partir en vacances, pour pouvoir continuer à travailler les sujets de la rentrée, et la boucle est bouclée !

De la confiance à l’efficacité

Il est important de noter quelque chose d’intéressant : la courbe représentant l’efficacité du groupe aurait pu être rajoutée sur le dessin précédent. Mais cette courbe est en fait pratiquement identique à la courbe représentant la confiance ! Cela nous montre deux chose :

  • La confiance est un élément essentiel au groupe, c’est un des ciments les plus fondamentaux et les plus essentiels, une baisse dans la confiance entre les membres impliquera une baisse de l’efficacité générale de la structure.

  • La confiance en les autre et la confiance en soi sont liés quand on est membre d’un groupe. On ne peut pas avoir confiance dans sa capacité à réaliser des choses avec le groupe si on n’a pas confiance dans la capacité du groupe. Les actions pour lesquelles il n’y a pas de confiance vis à vis du résultat final tomberont à l’eau « toutes seules » sans qu’on les pousse. La synergie du groupe s’appuie presque en totalité sur la confiance qui règne à l’intérieur.

En conclusion

  • Accompagnez vos nouveaux membres dans leur découverte de la structure (qu’ils découvrent le fonctionnement avec un ancien)

  • Faites confiance aux nouveaux membres (donnez-leur les moyens de réaliser leurs idées, donnez-leur des responsabilités lorsqu’ils s’en sentent capables)

  • Définissez des règles pour vous, et écrivez-les pour ceux qui continueront votre travail (fiches de poste)

  • Essayez de prévoir les départs, et de les anticiper (mise en doublon du remplaçant sur le poste, le temps de se former)
  • N’empêchez jamais quelqu’un de partir (faites-lui plutôt une haie d’honneur pour ce qu’il a apporté à la structure)

  • Écoutez ce que les membres vous disent, en bien ou en mal, n’obligez jamais les gens à faire des choses qu’il n’ont pas envie.