Mariage, Famille, Patrie
Par Mathieu le dimanche 5 juin 2011, 07:53 - Philosophie - Lien permanent
Pour ou contre le mariage homosexuel ? La question fait débat depuis longtemps dans notre pays, et si plusieurs pays européens comme l’Espagne ou la Suède ont finalement tranché la question dans le bon sens, il semblerait qu’il subsiste chez nous une très forte réticence par rapport à nos voisins européens. On a pu toucher du doigt cette réticence lors des débats pour la mise en place du PACS, qui ne s’est pas faite sans douleur.
En effet, dans notre pays, le mariage a une dimension sacrée. Peut être pas pour tout le monde, mais pour une part non négligeable de la population française, et cela a un effet sur l’inconscient collectif. En effet le mariage est bien plus qu’une simple institution civique, elle a une dimension structurelle dans la société, c’est sur le mariage que repose les bases de notre société de tradition judéo-chrétienne, c’est sur le mariage que se base le concept de famille, c’est par le mariage que s’effectue la transmission des biens à son compagnon, et c’est sur le mariage que s’est construit le cadre classique « papa - maman - bébé ».
Oui, en France le mariage est plus qu’une loi, c’est aussi une certaine vision de la société, un patron qui sert de base à la construction d’une nation. Pétain n’avait-t-il pas formidablement résumé cela avec son « Travail, Famille, Patrie » ?
On comprend alors quelle fougue peut animer les détracteurs du mariage gay, voire même de la simple union homosexuelle. Sous les arguments forts d’anormalité, de dépravation, de perversion ou encore de corruption de la famille française, l’élite hésite. Et c’est bien normal. Peut-on confier à une bande de sodomites l’avenir social et économique de notre pays ? Certes non.
Au delà des questions religieuses, un second argument avancé est la liaison ténue entre le mariage et le droit à l’enfant. Même si le concept de droit à l’enfant est vigoureusement critiqué par ces mêmes personnes qui défendent le mariage, il existe de fait un lien « automatique » entre le mariage et le droit à l’adoption. Las, en plus de s’unir et d’obtenir une légitimité en tant que couple, ces personnes aux comportements déviants obtiendraient en plus le droit de fonder une famille ? Grotesque et insensé répondent-ils.
Notre code civil date pourtant de Napoléon, qui n’était pas connu pour sa très grande dévotion, même s’il a réussi à devenir empereur en se faisant sacrer par le pape. Le code civil ne fait pas explicitement mention de cette interdiction d’unir les couples homosexuels, mais fait référence à de nombreuses reprises de « l’homme et la femme », comme les deux entités du mariage, retirant toute ambiguïté possible sur ce qui n’existait de toute façon même pas en tant que concept à l’époque.
Nous touchons le fond du problème : le mariage gay bouleverse l’équilibre de la représentation de la société française comme une société de valeurs, une société classique, chrétienne, familiale.
Oui mais non.
Combien d’enfants nés hors mariage en 2011 ? Combien de parents divorcés ? Combien de familles recomposées ? La famille française classique aurait-elle déjà perdu toutes ses valeurs ? En tout cas, c’est pas notre faute, nous on y avait pas doit au mariage donc c’est pas nous qui l’avons perverti.
La vision classique de l’union familiale est déjà dépassée à l’heure où des milliers d’enfants ont déjà deux foyers, deux papas et deux mamans, des demi frères et demie sœurs dans tous les coins. La famille c’est pas juste un homme et une femme, c’est un groupe de gens qui vivent ensemble, dans un esprit de solidarité fort, voire fusionnel. La famille ça ne se résume pas à « papa - maman - bébé ». Alors, pourquoi ne pas ouvrir la possibilité à deux personnes qui s’aiment naturellement, de la façon la plus noble qui soit, de fonder à leur tour une famille ? De construire quelque chose ensemble, de devenir les acteurs d’un enjeu qui les dépasse, de surmonter les mêmes difficultés que ceux qui sont « naturellement aptes » à former une famille ?
Les propos haineux que j’entends lorsque le sujet est abordé me sidèrent. Ces gens là n’ont rien compris, ou alors ils ne veulent pas comprendre. Ils voient l’homosexualité et les homosexuels comme des jeunes irresponsables, incapables de s’occuper d’autre chose que de leur cul, chopant toutes les maladies qui traînent, et se pavanant fier de leur différence libidineuse, affreuse et dégoûtante. Messieurs, Mesdames, vous n’avez rien compris. Ces personnes sont peut être homosexuelles, mais ne représentent pas notre communauté dans sa diversité. Il y a aussi des personnes comme moi qui sont au demeurant tout à fait normales. Si je ne vous disais pas que je suis homosexuel, vous ne pourriez pas le deviner. Je me plais à dire que je suis la version homosexuelle de l’hétéro, cela veut tout dire. Ces personnes comme moi, comme des milliers d’autres, comme celles qui sont présentes lors de la gay pride, comme celles qui militent pour la reconnaissance de leurs droits, comme celles que vous croisez tous les jours sans forcément savoir ce qu’elles font dans leur intimité, ces personnes ont les mêmes désirs et les mêmes aspirations que vous. Ce ne sont pas des personnes différentes, ce sont des personnes que l’on exclut. Vous en doutez ? Vous pensez que les homos s’excluent tout seuls en se réunissant dans des « bars gay » ? Vous êtes déjà rentré dans un bar gay ? Vous avez déjà essayé de draguer un mec dans un bar « hétéro » ? Vous comprenez pourquoi on a fini par construire des lieux où l’on ne serait pas obligé de supporter vos regards ? On est juste des gens qui s’aiment, et arrêtez d’imaginer, vous imaginez mal.
Refuser le droit au mariage aux couples homosexuels, c’est leur refuser d’être heureux.
Refuser le droit au mariage aux couples homosexuels c’est leur refuser de les reconnaître en tant que citoyens responsables, libres de s’unir comme les autres.
Refuser le droit au mariage aux couples homosexuels c’est une atteinte à leurs droits de citoyens.
Refuser le doit au mariage aux couples homosexuels, c’est juste de la connerie.
Commentaires
Chez nous, l’union civile et l’adoption pour les couples homosexuels sont légaux depuis quelques années. Et au niveau de l’image, on a quelques personnalités publiques ouvertement gays, dont l’animateur très respecté Michel Jasmin, dont on ne se douterait jamais qu’il est gay s’il ne l’avait pas dit. Quant au passage sur les excentriques que l’on voit dans les gay pride, ça me rappelle le billet de râlerie que Theriault avait écrit à ce sujet : http://theriault.servhome.org/2010/…
Sinon, depuis que j’ai vu ton Tux avec l’arc-en-ciel LGBT comme avatar MSN et tes deux premiers articles relatifs au sujet, j’avais des doutes, mais j’osais pas te demander une confirmation (mettons que ça n’aurait pas bien passé si tu étais hétéro et que je t’aurais posé la question…). Avec cet article et l’autre (Je suis un pervers), j’ai donc la confirmation, ce qui monte le compteur à 3 amis LGBT dans ma liste d’amis FB (toi, Alex et ma cousine Cindy).
Déjà que le fait d’être moi-même différente (en tant qu’handicapée) et d’avoir des parents relativement ouverts a donné une chance, mais le fait d’avoir une cousine lesbienne (coming out en 2002-2003) a également contribué à mon ouverture, surtout que nous nous étions toujours bien entendues elle et moi. Certains ont moins bien pris la nouvelle que d’autres, mais ça a fini par s’arranger avec le temps. Moi, j’ai pas vraiment fait de cas de ça quand je l’ai appris. Et elle est loin du stéréotype de la lesbienne “full-masculine” avec des bras gros comme ça et avec les cheveux courts, elle est plutôt féminine : on pourrait très difficilement le deviner de par son apparence et son attitude.
Tu les collectionne en fait, c’est un peu comme les pokémon. ;)
C’est vrai que je fais fleurir en ce moment les billets sur le sujet, faudrait que je m’arrête un peu, mais comme en ce moment j’ai le temps pour écrire cec que j’avais envie de dire pendant l’année, je déterre des billets qui étaient en attente depuis plusieurs mois ^^.
Pour ce qui est de mon coming out, ce billet là était dédié à la question, et celui ci était un billet au titre évocateur, pour celui qui « connaît le sujet ». Le premier je l’ai protégé par mot de passe parce que la personne que je voulais voir le lire l’a lu, et le fait de faire un billet exclusivement réservé la promotion de ma petite personne me gênait ^^ . Le second c’est parce qu’un de mes contacts l’a partagé sur Facebook, et c’était par pudeur, j’allais pas bien à ce moment là.
Ceci dit, le mot de passe n’est pas difficile à trouver, et j’accorde, pour tous les billets à mot de passe, aux personnes qui devinent le mot de passe l’autorisation de lire le billet, c’est d’ailleurs pour ça que j’ai modifié Dotclear pour afficher l’extrait des billets protégé par un mot de passe :)
Pour le second billet que je link, le mot de passe c’est simplement les mots qui suivent le dialogue du film d’où est sorti la phrase (qui vient également d’une pièce de Shakespeare, sachant que moi je suis français et que je met un espace (bon là c’est pas un espace insécable) avant les points d’interrogation. ;)
Les relations polygamiques et la polyandriques ne sont pas non plus « certifiables » par mariage, qu’en est il de ton avis à ce propos ?
Personnellement je titubes entre deux directions opposées :
Je trouverais injuste de « débrider » le mariage juste pour les couples.
Et pour terminer sur une remarque plus en lien avec l’idée que j’ai de la France, l’Europe, voir de l’humanité en général : « L’homme moyen est lent, aime la constance et rechigne au changement. Plus l’idée est vieille, plus le gain ou l’erreur doit être grande pour qu’un changement soit envisagé. La seule exception survient lorsqu’il y voit son intérêt personnel instantané. »
Bref, hors mis ces chamailleries je vais finir sur une question débilement débile : « Les homosexuels sont ils tous homophobophobes ? » (On remarquera que les arachnophobes sont en général arachnophobophobophiles en présence d’arraignée)
La question de la polygamie dépasse le propos du mariage, car elle pose un problème dans la reconnaissance du couple, puisque ce n’est plus un couple. Le sujet est vaste, et je pourrais m’y perdre, je dirais simplement que l’argument est inapplicable car il s’agit d’un changement de contexte.
On essaie ici de mettre sur le plan deux personnes qui s’aiment, de manière totale et de la manière la plus pure qui soit avec une relation “à trois”, une sorte de colocation où les intérêts des uns et de autres pourraient diverger, c’est la porte ouverte à des abus, et je ne pense pas, vu comme deux personnes sont naturellement capables de se détester, que trois personnes sont capables de vivre en harmonie dans le cadre d’une relation maritale et sexuelle.
En effet, si on pose la situation “un homme et deux femmes”, l’homme aime les deux femmes, les deux femmes aiment l’homme, mais les deux femmes éprouvent elles autant de tendresse entre elle qu’envers cet homme qu’elles doivent partager ? J’ai de très gros doutes, corroborés par la nature égoïste de notre société, sur le fait qu’un schéma “parfait” de ménage à trois qui ne soit pas qu’une simple colocation avec relations occasionnelles puisse durer, voire même se créer d’elle même. Alors que pour ce qui est d’un couple, la situation est largement rodée. On parle de reconnaissance de droits pour des situations qui existent et qui sont revendiquées. Ce n’est pas le cas pour la polygamie ou la polyandrie, c’est donc totalement hors sujet.
Et oui, je suis homophobophobe.