Comprendre la « théorie du genre » en 5 points
Par Mathieu le dimanche 9 février 2014, 20:25 - Philosophie - Lien permanent
By Kenji-Baptiste OIKAWA (Own work) [GFDL or CC-BY-SA-3.0-2.5-2.0-1.0], via Wikimedia Commons
La « théorie du genre » est au cœur du débat public depuis quelques temps. Au point qu’il y a quelques jours, la loi famille a été avortée (c’est le cas de le dire !) sous la pression des mouvements réactionnaires.
Chaque fois que j’entends parler de la théorie du genre à la télévision, je n’arrive pas à comprendre pourquoi personne ne se lève pour dire « non, attendez, on va vous expliquer ». Comme toujours, on parle de choses que l’on ne connaît pas, et les personnalités politiques sont toujours d’accord avec celui qui crie le plus fort.
Donc puisque vous êtes arrivé jusqu’ici, restez un peu, je vais vous expliquer.
En fin d’article, vous trouverez quelques liens détaillant des opinions opposées, pour vous aider à construire votre propre opinion.
1. La « Théorie du Genre »
La « théorie du genre » n’existe pas.
Ce que l’on appelle « théorie du genre » est un ensemble d’études sociologiques étudiant la construction sociale des individus.
Ces études se concentrent sur l’aspect sexué des individus. Ces études analysent la construction des comportements sexués chez différentes sociétés, et les conséquences que cela a sur la structuration des rapports entre les sexes.
Cela n’est pas, et n’a jamais été, une théorie comme le sont la théorie de l’évolution ou la théorie du Big Bang.
Lire et écouter plus à ce sujet.
2. Sexe ? Genre ?
Combien y a-t-il de sexe ? Deux ? On ne peut être qu’homme ou femme? Attendez, c’est un peu plus compliqué que ça.
2.1. Le sexe biologique
Il y a d’abord le sexe biologique, celui qui est inscrit dans vos chromosomes. Chromosomes sexuels XX pour les filles, XY pour les garçons, la présence et la nature des chromosomes sexuels ne laisse pas place au doute.
Mais comme pour le chromosome 21 (trisomie 21), il existe aussi des anomalies des chromosomes sexuels, et certaines personnes se retrouvent avec un génotype affichant fièrement et sans complexes son XXY en lieu et place du XX ou XY. Contrairement aux personnes atteinte de trisomie 21, la trisomie des chromosomes sexuels est bénigne mais entraîne souvent un retard du développement des organes sexuelles mâles, ainsi qu’une stérilité.
Il y a donc trois « sexes génétiques » possibles : XX, XY, XXY.
2.2 Le phénotype
Le phénotype c’est l’expression sexuelle des chromosomes, il se manifeste par la présence d’organes sexuelles mâles ou femelles. Là encore, vous pouvez ressembler à un garçon (présence abondante de poils, développement musculaire), ou une fille (gonflement des glandes mammaires, raréfication des poils), en fonction de l’expression que donneront vos chromosomes sexuels.
Mais là encore, les choses ne sont pas binaires, certaines mutations rares du chromosome SRY provoquent une intersexuation, l’individu est alors à mi-chemin entre le phénotype masculin et le phénotype féminin, tout en ayant la présence normale de chromosomes sexuels XX ou XY. L’intersexualité va plus loin qu’une simple apparence physique, elle provoque aussi, avec le mélange des hormones, un développement partiel des organes sexuelle. Au point qu’il est parfois difficile d’identifier avec une échographie le sexe de l’enfant avant la naissance. L’instant décisif se jouant alors après la naissance, où les médecins et les parents doivent inscrire sur l’état civil le sexe de leur enfant. Une fois leur décision prise, les parents peuvent ensuite demander à procéder à des opérations de chirurgie reconstructrice, pour faire correspondre - au moins partiellement - les organes sexuelles de l’enfant à son sexe civil.
Le phénotype est donc le curseur, plus ou moins prononcé, propulsant le sexe biologique dans la construction de l’apparence de l’individu.
2.3 Le sexe social
Il existe encore un autre sexe, c’est celui par lequel nous interagissons avec les autres. On parle souvent de « garçon manqué » pur une fille, et il arrive qu’on dise d’un garçon que « c’est une vraie gonzesse ».
Ces phrases se basent sur la construction sociale que nous avons du sexe des individus (je ne parle pas de sexualité). Les filles et les garçons s’insèrent dans certains comportements correspondant à leur phénotype, et la prise de certains comportements « masculins » par les femmes, ou de certains comportements socialement « féminins » par les hommes provoque souvent une incompréhension, alors qu’il s’agit de l’expression de sa personnalité, ce qui n’a rien à voir avec le sexe ou le genre.
Le sexe social définit donc comment nous nous insérons dans des comportements « féminins » ou « masculins », vis à vis de la société.
2.4 Le genre
Le genre est le « sexe » le plus critiqué en ce moment. Le genre c’est une histoire personnelle, et ça n’a rien à voir avec les constructions sociales. Le genre est le sexe que l’on ressent, au plus profond de soi. C’est le fait de se sentir homme, ou femme, ou même ni l’un ni l’autre.
On peut être un homme, apprécier s’habiller en femme et utiliser les codes et attributs féminins, cela ne fait pas de soi un transgenre. On peut être une femme, parler vulgairement et mettre des pantalons, on n’en sera pas un homme pour autant. L’emprunt des codes sociaux de l’autre sexe relève de ce que j’ai appelé plus haut le sexe « social », c’est différent du genre.
Le genre est la relation à son propre sexe, c’est le sexe le plus personnel et le plus mystérieux. C’est aussi celui que l’on comprend le moins. Le genre ne se décide pas plus que le sexe biologique, mais il est celui qui va compter pour la représentation que l’on a de soi, et sa projection aux autres. C’est le sexe que l’on ressent, celui qu’on exprime, celui qui, lorsqu’il n’est pas en accord avec le sexe biologique, va nous faire souffrir.
Le genre peut aussi n’être ni féminin ni masculin. Dans certaines sociétés, un autre genre (« troisième sexe ») est même reconnu socialement.
3. Enseignement ?!
Une des grandes inquiétude des combattants contre la théorie du genre (qui n’existe pas), est l’enseignement. D’après eux, on va apprendre à nos garçons, jusque dans les écoles primaires, à jouer aux filles, on va leur apprendre la masturbation et la fornication dès leur plus jeune âge, on va créer une confusion dans leurs cerveaux trop jeunes pour comprendre.
En fait, je ne pense pas qu’on expliquera ce qu’est le phénotype aux enfants. Mais le sexe social (et non pas le genre) se construit dès le plus jeune age il est donc normal de leur expliquer que les conventions sociales ne sont que des conventions, et que leur personnalité peut s’exprimer en dehors du carcan des codes de la société. Ainsi, jouet à la dînette pour un petit garçon n’est pas plus gênant que jouer aux petites voitures pour une fille ; ce sont des jeux.
L’école, mais surtout les relations entre les enfants dès leur plus jeune âge, participe à la création de la compréhension que les enfants, et ensuite les adultes, ont du monde.
S’ils trouvent normal dès leur plus jeune âge de mettre les filles de côté pour certains jeux, ils vont naturellement comprendre que la place des femmes n’est pas faite pour certaines tâches, par un déterminisme biologique immuable. Par contre, s’ils apprennent assez tôt à jouer avec les petites filles, leurs relations avec le sexe opposé sera non seulement plus apaisé à l’adolescence, mais aussi à l’âge adulte. Les filles ne seront plus un objet bizarre qu’il convient d’étudier, mais des personnes à part entières, des compagnes, des collègues, mais pas des objets sexuels.
C’est donc les stéréotypes sociaux, sous forme de jeux, qui seront probablement abordés lors de la petite enfance, par les enfants eux-mêmes, et non le genre qui est de l’ordre de l’expression personnelle de son propre sexe.
4. Théorie du genre = lobby gay
Ça me fait toujours rire quand je l’entend, mais ce n’est pas drôle quand on entend la haine qui se déverse juste après de la bouche de ceux qui en parlent.
La sexualité, le sexe, et le genre sont trois choses différentes. Nous avons vu la différence entre le sexe et le genre dans le point 2. La sexualité est encore autre chose, et elle est complètement indépendante du sexe et du genre. La sexualité c’est la capacité pour les êtres humains à développer des relations charnelles avec d’autres êtres humains.
La plupart des hommes préfèrent les femmes, et la plupart des femmes préfèrent les hommes, grand bien leur en fasse.
Certains hommes préfèrent les hommes, certaines femmes préfèrent les femmes, grand bien leur en fasse.Certaines personnes n’ont pas de préférence spéciale, et se basent avant tout sur la rencontre d’une personnalité, au delà du sexe de la personne. Grand bien leur en fasse.
Aucun rapport donc avec la théorie du genre, avec le genre, ou avec le sexe. Quels seraient les plans du lobby gay pour essayer de détruire une nouvelle fois la famille ?
Vous savez quoi, ceux qui détruisent la famille, c’est ceux qui prétendent la défendre. Lorsqu’on rejette l’un de ses enfants parce qu’il est homosexuel, lorsque l’on assassine des personnes qui s’aiment parce qu’elles ne s’aiment pas « comme il faut », lorsqu’on déchire des vies, on ne défend pas la famille.
Le lobby gay n’existe pas, la théorie du genre non plus.
5. Nier la différence entre les sexes !
La « théorie du genre » est accusée de vouloir nier les différence entre les sexes, nous transformer en êtres androgynes et insipides, à supprimer les deux genres au profit d’un seul.
C’est faux d’une part si on considère que les études de genre différencient justement les sexes masculins et féminins, et ensuite parce que les militants féministes revendiquent souvent un « troisième sexe » qui est donc un sexe supplémentaire, et non pas un sexe qui remplacerait les deux premiers.
Le propos est également stupide parce qu’il montre souvent une insécurité de celui qui le porte dans son rôle patriarcal. Bien souvent ce sont des hommes qui parlent de ce « problème », et qui revendiquent la différence entre les sexes pour justifier leur ascendant sur le sexe opposé. Lorsque ce sont des femmes, c’est juste de la bêtise, je n’arrive pas à comprendre qu’une personne revendique sa place de soumission dans une société patriarcale, alors que les droits des femmes ont plus évolué en un siècle qu’en deux mille ans d’histoire.
Addendum : L’enfer est pavé de bonnes intentions
Sous forme de post-scriptum, je pourrais conclure presque l’ensemble des billet de ma catégorie LGBT ainsi, mais c’est un fait : l’enfer est pavé de bonnes intentions.
- Ceux qui prônent la non violence en assassinant des gens sont des imbéciles.
- Ceux qui défendent la famille en rejetant une partie de leurs semblables sont des imbéciles.
- Ceux qui propagent la haine en voulant promouvoir l’amour sont des imbéciles.
- À tous les militants anti-lobby gay, pensez à tous les jeunes homos qui se suicident.
- À tous les militants « anti-gender », pensez à toutes ces femmes qui n’ont pas le droit de vote, ou de sortir de chez elles sans l’accord de leur mari.
- À tous les anti-avortements, pensez à ces femmes qui meurent en essayant de se libérer de l’enfant issu d’un viol, et à tous ces enfants qui souffrent de ne pas avoir été désirés.
Pour aller plus loin
Ceux qui partagent mon opinion
Ceux qui ne partagent pas mon opinion
- Observatoire de la théorie du genre, une publication du syndicat étudiant UNI.
- Égalité et Réconciliation, une publication d’Alain Soral.
- Nouvelles de France
Commentaires
Bonjour,
J'ai bien ri quand vous écrivez 'la théorie du genre n'existe pas'. Affirmer cela, c'est prendre une position idéologiquement marquée, en tout cas faussement neutre. Encore plus drôle: 'le lobby gay n'existe pas'. A quoi ça sert que Pierre Bergé, président du conseil de surveillance du groupe Le Monde (Courrier international, Le Monde diplomatique, La Vie, Télérama, Le Nouvel Observateur, Le Monde...) il se décarcasse???
Bonjour,
Si la théorie du genre existe, alors donnez moi le nom d’un théoricien, ou d’un article fondateur permettant de justifier son existence (et que je le lise pour enrichir ma culture).
Si le lobby gay existe, alors donnez moi factuellement et précisément des preuves de l’action de ce méchant lobby (c’est eux qui tuent des enfants à Gaza ?).
Non, je ne suis pas neutre dans mes arguments, mais vous non plus : on est des êtres humains.
Commenter la forme sans commenter le fond, impliquer la partialité de l’auteur, ajouter une question rhétorique, ce n’est pas poser les bases d’un débat, c’est juste un troll.
Je passe en coup de vent. Bravo pour ta posture, explication et la défense.
Bonne continuation pour le blog.
Votre mise en perspective est intéressante. Cependant, il me semble qu'une généralisations telle que "ceux qui détruisent la famille, c'est ceux qui prétendent la défendre" est excessive et ne favorise pas le débat.
Ne possédant pas d'assise biologique, par leur nature même, les notions de "sexe social" et de "genre" d'un individu sont des objets d'incertitude et évoluent selon les circonstances et les périodes de sa vie. S'interroger à propos de son propre sexe social, de son genre est nécessaire, mais c'est aussi s'aventurer aux confins de la notion de chimère ou de monstre. Voir diffuser ces notions dans l'école élémentaire conduit donc, pour beaucoup, à une grande angoisse : "cet enseignement ne va-t-il pas empêcher mon enfant d'être bien dans son corps ? de s'épanouir dans sa vie sentimentale ?"
L'expérience montre que toute "révolution culturelle" dans l'enseignement peut conduire, et conduit, à de véritables et nombreuses détresses.
Assimiler cette inquiétude à l'obscurantisme ou au nationalisme réactionnaire, c'est aussi donner à l'inquiet l'impression d'un chantage intellectuel, voire le pousser à se réfugier auprès de ces mouvances.
Je ne crois pas qu'en débouchant mécaniquement sur "ceux qui sont d'accord avec moi" et "ceux qui ne sont pas d'accord avec moi", on puisse réellement aider chacun à construire sa propre opinion et se comporter en citoyen(ne) adulte et responsable.
Et puis, franchement, parler de "sexe social" pour le choix d'un jouet ou d'un vêtement... c'est un bien grand mot.