Et toi, tu fais quoi l'an prochain ?
Par Mathieu le dimanche 21 août 2011, 14:58 - Formations et Informations - Lien permanent
À chaque rentrée ce sont les mêmes scènes qui se reproduisent : de nouveaux étudiants arrivent en première année, émerveillés et curieux de leur nouvelle vie à l’Université, tandis que des anciens ne reviennent pas. Et moi, au milieu de tout cela, qui vieillis inexorablement. Cela va faire ma cinquième rentrée universitaire, ce qui est un minimum quand on est en M2, et pourtant, je me pose toujours la même question : « Où sont les autres ? », « Où sont les autres étudiants ? L’effectif a encore réduit cette année ? », « Si ça continue comme ça l’an prochain on sera à peine une petite dizaine ! » etc.
Le phénomène n’est pas que local, toutes les universités assistent assez impuissantes à la désertion de leurs étudiants de sciences, et plus particulièrement à leurs étudiants d’informatique et des NTIC. Ce qui est un comble si l’on pense que ces mêmes universités ont été pendant longtemps porteuses de toutes les innovations de ce domaine, jusqu’à Internet. Bon en France c’est pas le MIT mais quand même…
Alors où sont ils tous passés ?
Certains sont partis en classes préparatoires. La tradition, une tradition qui revient à la mode, les gens veulent devenir ingénieurs avec la gloire et les filles, et ils se tournent vers les classes préparatoires pour espérer rentrer dans une grande école d’ingénieurs. Quel gâchis. Ceux là sont de toute façon perdus pour les universités, on ne convainc pas un fantôme.
Où sont les autres ? La réponse est simple : dans les formations privées, les écoles où « tu paies d’abord et tu étudies après », là où les Supinfo, Epita ou autres Epitech font leur beurre. Sous forme de soit disant école d’ingénieur accessible « directement depuis le BAC », ces formations sont le nouvel eldorado des étudiants pas tout à fait assez bons pour réussir en classes préparatoires, mais pétant suffisamment haut pour dire « la fac snul ».
Pour justifier le coût exorbitants de leur formation, ces écoles privées investissent, c’est vrai, une grande partie de leur budget dans du matériel, ça sert en même temps d’appât pour les nouveaux pigeons étudiants, c’est pratique.
La fac !
Ces formations ont-elles vraiment un plus ? Clairement, pour un étudiant de la génération Y[1], il n’y a pas de comparaison possible. Alors qu’en fac on apprend d’abord des maths, ensuite de la théorie, et pour la pratique c’est un peu « démerdes toi, RTFM », ces écoles commencent en première année avec le niveau pratique requis à la fin de la licence. Ah oui, forcément. Ne se voilant pas la face vis à vis de l’autoformation de leurs étudiants, déjà au fait des choses de la vie des usages des NTIC, ces formations proposent une offre alléchante se basant sur vos acquis naturels, alors qu’en fac on a souvent l’impression du nivellement par le bas. Quand je contemple l’air béat des L1 face à un tableau de Karnaugh, je me demande si ce genre de technique quelque peu élitiste fonctionne, mais bon il faut croire que ça marche.
On reproche, et c’est vrai, à l’enseignement en fac d’être trop théorique, trop généraliste, c’est également un de mes ressentis. Mais il ne faut pas oublier que cette formation a aussi pour but de vous préparer une éventuelle bifurcation vers la Recherche, de plus il est toujours bon, même en milieu professionnel, de connaître les principes théoriques sous-jacents des technologies que l’on utilise sans réfléchir. J’ai été très fier de moi quand j’ai implémenté des fragments de kernel « from scratch ». Vous vous rendez compte ! Un kernel ! Linus Torvalds’ willpower ! Je fais toujours un bide avec cette anecdote, allez savoir…
Un autre argument que malheureusement je vais avoir du mal à contester se trouve au niveau de la qualité des enseignants. Il est dit que ces enseignants, forcément mieux payés et triés sur le volet produisent de meilleurs cours, et assurent donc une meilleure réussite. Si je n’ai pas vraiment d’élément de comparaison, n’ayant jamais suivi ces formations hors de prix, je dois bien admettre qu’en fac il y a une certaine disparité de qualité entre les professeurs. Cela va de l’enseignant-chercheur génial et pédagogue à l’incompétent chronique qui n’a même pas compris ses slides. On me souffle dans l’oreillette que c’est pareil dans les formations privés, merci de cette précision. Pour ce qui est de la fac, il me semble d’ailleurs que ce n’est pas prêt de s’améliorer car les dernières réformes auraient tendance à pousser les bons chercheurs (et donc les bons enseignants) vers la recherche pure, et les mauvais … vers l’enseignement !
Pour en revenir au matériel, ces écoles ont également souvent des partenariat du genre MSDN, qui proposent des logiciels et parfois du matériel à bas prix pour les étudiants. Une manière pour eux de rentabiliser leur inscription, qui doit quand même leur nécessiter un bon semestre de repas à base de féculents[2] pour faire éponger la facture.
Non, en fait ce qui change vraiment pour ces écoles, c’est la pub. La fac ne communique pas ou très peu, en dehors des salons lycéens à la con, où ces derniers font pale figure face au déballage publicitaire de ces formations privées.
Je crois que c’est tout pour les points noir spécifiques à la fac.
Marseille !
Il y a aussi, et on l’oublie souvent en montrant les formations à succès comme Toulon, Nice (Sofia Antipolis), ou encore les campus de Lyon : c’est l’image de Marseille. Chaque fois que j’ai évoqué à des lycéens « de province » la proximité, voire l’inclusion de la fac dans les quartiers Nords, ces derniers ont été sérieusement refroidis. Aix-en-provence n’a pas ce handicap. C’est lié à Marseille, de réputation. Et de manière étrange, quoique compréhensible, les étudiants ont tendance à délaisser les campus situés dans les quartiers Nord au profit de ceux en centre ville. Jusqu’à ce qu’ils apprennent à leurs dépends que le quartier de Saint Charles quand il fait nuit c’est pas franchement soirée mousse à tous les étages — passez moi l’expression. Ou pour le campus de Luminy, qui fait un peu « truc qui brille » jusqu’à ce qu’ils se rendent compte que les mecs bourrés, ben ça fait pas bon ménage dans les résidences universitaires. On passe pour des petits joueurs chaque fois qu’on nous raconte les murges sans noms qui ont lieu dans cet endroit de perdition. Oui je sais, si j’en rajoute trop ça se voit, mais je reste encore un peu crédible, non ?
Voilà pour moi les points essentiels qui rebutent les étudiants pour s’inscrire en fac à Marseille : la fac, et Marseille. Ouais, vous avez vu, c’est pas gagné pour inverser la tendance…
Alors, pourquoi venir en fac, et plus particulièrement à Marseille ?
La fac c’est la liberté. De grandes libertés impliquent de grandes responsabilités. Souvent les parents ont peur d’envoyer leurs petits chéris dans des lieux où ces derniers pourront réaliser les mêmes bêtises que celles qu’ils ont faites à leurs âges, ils préfèrent les envoyer en classes préparatoires — ça au moins c’est pas pour les glandus — où ils pourront, après deux années enfermés à apprendre des choses qu’ils ne comprennent pas, se murger à leur entrée en écoles d’ingénieur. La liberté, oui, bon il y a des limites quand même, il y a les examens où on est quand même (un peu) obligé d’aller, sinon ça risque de mal se terminer, surtout pour la bourse d’études, si vous y avez droit.
La formation en fac est théorique, du moins pour les premières années. Si vous avez réussi à tenir jusque là, et surtout si vous avez compris (car vous en avez le temps, le temps de comprendre c’est aussi important que le temps pour apprendre) tout ce qui vous a été enseigné, alors vous valez cent ou deux cent fois mieux que ces pseudo-ingénieurs sortis des « usines à diplômés », qui le plus souvent ont accumulé du « comment » et pas du « pourquoi ».
Pourquoi Marseille alors ? Conscient de leur mise en ghettos, les universités réagissent, et agissent. Un des moyens pour lutter contre le repli de l’université sur elle même dans cet environnement réputé hostile c’est justement de s’ouvrir. Mon université a dépensé beaucoup d’argent et d’enthousiasme dans les projets associatifs ainsi que dans les projets en lien avec la vie du quartier. Nous on bouge, on vit ensemble, on est loin des campus immenses en vase clos, on est ouvert sur le reste de la ville. Pourquoi aller dans un campus où il n’y a rien à construire ? Le futur se décide maintenant.
Pour conclure, l’université c’est plus qu’un organisme de formation, et le campus c’est plus que l’endroit où on va en cours. La vie étudiante n’a franchement rien à voir avec l’univers confiné des lycées, univers qui a tendance à être reproduit dans les écoles privées ou les classes préparatoires. La fac, on peut y aller comme on va au lycée, et on va s’y emmerder et perdre son temps. Ou alors on peut y aller comme un étudiant, s’investir dans ce qui nous passionne, prendre le temps pour des projets et pour réaliser de grandes choses. Le principal argument des fac en première année est le volume de cours, ce qui se révèle malheureusement aussi un handicap et a forgé la réputation — quoique méritée — de « à la fac on fout rien ». Certes, rarement en première année, mais es-ce que vous savez ce qu’on fait en dehors des cours ? C’est ça la différence, c’est la sortie du carcan scolaire pour sublimer ses compétences dans des applications enthousiastes. C’est à ça que ça sert la fac. Et la différence se voit à la fin : entre un étudiant préformaté et un étudiant qui a eu le temps de papillonner entre les projets, expérimenter, se tromper et recommencer, je vous laisse deviner lequel des deux est le plus mature à la fin de ses études.