Il y a d'abord le trac. Comme si on montait sur scène pour la première fois. Même si on a répété, on sait que ça ne sera pas comme aux répétitions. On sait qu'il y aura plus de monde. On sait qu'ils nous regarderont tous. On sait que chaque hésitation ou chaque tremblement nous donnera envie de nous enfuir le plus loin possible.

Il y a cette peur du lendemain. Il y a cette indicible peur de briser ce qui est, et de détruire ce qui sera. La peur du définitif, la peur du grand vide, le saut dans l'inconnu. Et après ? Est-ce qu'on y a bien réfléchi à l'après ?

Il y a cette demi-seconde de doute. La dernière recherche d'alternatives. Essayer de se convaincre que ça n'est pas indispensable. Se dégonfler avant de sauter du pont, alors que tout le monde nous regarde et que l'élastique est déjà accroché. Mais tiendra-il le coup ?

Il y a cette demi-seconde de flash-back. Une forme de deuil de tout ce qui a été, un dernier souvenir de ce qui ne sera plus. Les milli-secondes les plus longues du monde. Rester encore un peu comme avant, juste quelques micro-secondes.

Le néant. Cet espace rempli de rien que l'on comble avec du vide.

Ne pas se rendre compte que c'est déjà terminé. Regarder cet étranger finir sa phrase à notre place. Ne plus agir de manière vraiment consciente. Comme un animal traqué dont les instincts ont repris le dessus.

Ces secondes où on attend ce qui va se passer. La scrutation méthodique du moindre tressaillement, les instants pétrifiés et où le coeur est le seul muscle à s'agiter, frénétiquement.

Et puis, d'un coup, la chaleur qui envahit le corps. La honte. Tout le sang du corps veut converger vers le visage. Tous les vêtements deviennent moites, et les chaussures trop petites. Retenir un tremblement, cacher ses mains et accrocher quelque chose. Un orage d'émotions. Culpabilité, soulagement, peur, dégoût, honte, satisfaction, incertitude.

Compter les secondes pour essayer d'occuper l'esprit.

Réaliser que c'est fait. Essayer de comprendre ce que répondent les gens qui parlent en face. C'est bien à moi qu'ils parlent ?

« Ah. Tu es sûr ?
- Oui Maman je suis sûr.
- Tu vois quelqu'un en ce moment ?
- Pas encore.
- C'est dommage, j'aurais bien aimé le rencontrer.
- Merci.
- Pourquoi tu me dis Merci ?
- Tu le prends bien, c'est cool.
- Qu'est-ce que tu veux que je te dise ? »

C'est vrai, qu'est ce que j'aurais bien voulu qu'elle dise ? Je n'y avais pas pensé. J'ai tellement pensé à ce qu'elle aurait pu dire que j'en ai oublié ce que j'aurais voulu qu'elle dise.

Heureusement qu'on ne fait ça qu'une fois. Le coming out, c'est pas pour les tapettes.

 

Ce récit est romancé. Toute ressemblance avec des lieux ou personnes existants ou ayant existé ne serait que pure coïncidence. À l'origine ce billet est très vieux, ça fait presque depuis que ce blog existe qu'il est en incubation. C'est le moment de le publier pour essayer tourner la page des articles où je parle de ce que je suis en espérant que les êtres humains deviennent enfin adultes. Au bout de la dixième réécriture j'ai arrêté de compter donc j'espère qu'il ne souffrira pas trop de toutes ces retouches et qu'il résonnera simplement dans votre propre expérience. Il n'a pas d'autre objectif, et les commentaires sous cet article sont fermés.